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Journal du MASA : Nin’wlou offre une croisière mémorable au public du MASA

Avec plusieurs distinctions à son actif dont le prestigieux Prix SILA Bernard B. Dadié du jeune écrivain, en 2022, le poète slameur Nin’wlou, sera sur la scène de l’Institut Goethe vendredi 19 avril, après nous avoir fait entrer jusque dans les abysses de son génie créatif. Récit.

Par Siamlo Victoria Sedji

 

Un cri perçant sur fond d’une douce musique mandingue, épouse solennellement l’entrée de l’artiste sur scène. Un jeu de lumière dissipe puis éclipse la pénombre, annonçant l’avènement d’un tableau poétique. Un pas après l’autre, Nin’wlou, qu’on pourrait qualifier de jeune maître de la parole, est fin prêt pour « La marche du feu », titre de son recueil éponyme déjà primé. Paré de sa tenue de scène préférée, un complet sarouel, il arpente la scène et vient se terrer dans le décor qui a changé de cadence pour que démarre l’aventure tant attendue.

Cette année, le jeune artiste dispose d’une scène toute à lui au MASA, et en est fier. « Cette édition est particulière parce que c’est ma première dans la sélection officielle ; c’est mon premier spectacle (…). C’est le début de quelque chose alors forcément on se sent honoré, on se sent fier d’avoir fait lever toute cette salle », dira-t-il en coulisse après le spectacle.

 

Nin’wlou, pion sûr de la poésie-slam

Nin’wlou est à présent sur scène et la scrute. Son regard se plonge et perce le public, avant de commencer sa litanie. Le poète-slameur conte avec calme puis vigueur, parfois mélancolique ou dans une émotion plus gaie, une partie de son histoire dans cet art qu’il a contribué à rendre célèbre durant ces neuf dernières années. Chaque mot, chaque vers compte. L’artiste a la trempe d’un puriste. Il va chercher loin les meilleures expressions poétiques, les aiguise, les met en évidence, isole les lettres de l’alphabet dans un jeu stylistique qui lui est propre. Un silence majestueux se répand aux confins de la salle, témoin attentive et assidue de l’épopée que l’artiste relate dans un vocabulaire riche de figures littéraires. Le verbe n’a pas de secret pour lui. Comme un vin prêt à être dégusté, Nin’wlou, a fait sa propre libation en savourant les mots du français et ceux du Guéré (sa langue maternelle), avant de les porter en offrande à son public. « S’ils te demandent qui je suis, dis-leur que je suis Nin’wlou et que je parle le feu ; s’ils te demandent d’où je viens dis-leur que je viens de Farafina la belle à la senteur de karité concassé (…) ». Il enchaîne dans le même ton grave et solennel : « Assis à l’ombre de ses gloires passées, mon grand-père regardait plus loin que le bout de son nez. A ses pieds, une flèche rouillée ; paumes et fleurs flétries par les âges, il m’a dit : les murmures qui caressent l’écorce de l’arbre à palabres, finissent par fouler le seuil de la case la plus reculée du village (….) Le recul fait partie de la chorégraphie du masque ; les forts savent se battre, mais les sages savent gagner (…) ». « Zian mon zian ! » (aujourd’hui c’est aujourd’hui, en guéré)

Captivant, vif, instructif. L’art de Nin’wlou s’apparente à une douce panacée. Mais le verbe que manie Nin’wlou reflète aussi bien le silence que le cri de l’âme. Car il porte les stigmates d’une histoire humaine commune. Celle de notre destin. Celle vécue avec nous-mêmes ou avec les nôtres. Celle du passé, mais aussi de l’avenir. Il est des artistes qui se font hérauts de leurs contemporains. Nin’wlou ne déroge pas à la règle. Mais sa complicité avec l’art, sa filiation avec l’Afrique de ses pères et mères peuvent nous faire remonter jusque dans les huttes de la cosmogonie. Si « le monde est vieux, l’avenir sort du passé », dixit l’écrivain guinéen Djibril Tamsir Niane. Nin’wlou, lui, veut continuer de porter ses racines, comme un arbre n’abandonne jamais ses lianes. Et comme une africaine porte ses cheveux.

Devant un public avide, l’artiste enchaîne ses titres, et n’hésite pas à y mettre assez d’humour, en se laissant lui-même ensorceler par le délire qui saisit son public. A l’évidence, il y en a qui maîtrisent plusieurs lignes de ses textes et y vont à fond. Dans la foulée, les voix s’élèvent, étreignant celle de l’artiste dans une symbiose. Sous l’emprise des vers et des multiples figures de styles qui enrichissent et fondent son génie créatif, on chante et on rigole, on s’enjaille entre mille et un mots ! Dans chacun de ses titres, Nin’wlou parle de presque tout. Porte un toast aux vicissitudes de la vie. Rend un hommage vibrant à sa mère. Pleure son cher père disparu, ainsi que son défunt confrère « Philo », parti dans la fleur de l’âge cette année. D’ailleurs, il ouvre une feuille en plein récital, et nous déclame « les morts ne sont pas morts » de l’écrivain sénégalais Birago Diop, comme pour se consoler lui-même. Il évoque aussi de tendres et douloureux souvenirs, célèbre l’amour d’une femme tant aimée et désirée, motive son public, dénonce les tares de la société ivoirienne.

« Comme je le dis c’est une dictée de Dieu. On ouvre notre cœur, on est sensible au moindre mouvement du cœur et de l’esprit. Quand on voit des choses qui nous révoltent ou qui nous passionnent, on ne s’interdit rien.  Dans toute chose, j’essaie d’ajouter le Nin’wlou. Le Nin’wlou consiste à essayer de dire les choses différemment. Nin’wlou en veut dire parole de feu (…) ».

 

 

Bercé par la puissance de ces mots qui portent et la salve de kora qui les accompagne par moments, le public se délecte. Il déguste chacun de ses vers, sans se lasser, se laissant envelopper par la douce musique qui signe l’épilogue -composée par un pianiste et un guitariste aguerris- et qui épouse avec brio les envolées lyriques de l’artiste. Entre deux textes, son orchestre harmonise les sons, peaufine les notes jusqu’à ce que se dessine une autre mélodie. Dans la salle, de grands noms de la culture n’ont pas voulu se faire conter ce énième épisode de la « marche du feu ». Assis au premier rang, des noms bien connus du domaine de la culture comme Henri N’koumo, l’humoriste Marshal Zongo, ou encore Alain Tailly, son maître, semblent visiblement captivés. Le public ne tarit pas d’éloges, se montre très généreux, acclame à outrance.

 

La poésie-slam pour dire son ras-le-bol

Le spectacle durera près d’une heure trente minutes, sans jamais lasser le public. Il s’achève comme une communion autour du morceau culte intitulé « Restaucratie », une dénonciation de la prise du pouvoir dans notre société par des élites affamées, assoiffées et avides qui se rendent coupables de détournements de deniers publics de recels et de favoritisme, faisant le lit de la démagogie et de la gabegie. Tellement occupés à ne penser qu’à eux qu’ils finissent par reléguer les souffrances des populations au dernier banc de leurs priorités. « …ils mangent quand on pleure, ils mangent quand on meurt … ils mangent, ils mangent seulement ! Au buffet des voraces, on s’enivre de pot-de-vin, lanciné par des taxes, là-bas, ça mange du fer ! Abracadabra, il pleut des billets (…) ils parlent de nos misères la main dans l’assiette (…) trop de chaos sur la route, du cacao ! Nos parents démissionnent, les ados cherchent des solutions !” Le public récite en chœur le refrain“on rajoute des couverts et ça mange seulement ! »comme si sa vie en dépendait, dans une fin de soirée tout aussi drôle, spectaculaire que conscientisante. Sous des tonnerres d’applaudissements, et des fous rires à l’ivoirienne.

« C‘est la première fois, je ne le connaissais pas auparavant. Ah c’est magnifique, c’est magique ! Je suis complètement admiratif devant sa maîtrise des mots », affirme Maurice Eliakim, réalisateur, qui vient ainsi d’enrichir sa culture et son esprit grâce au Marché des Arts du Spectacle africain d’Abidjan.

 

Le MASA pour une meilleure visibilité du slam et de la poésie-slam made in Côte d’Ivoire

Depuis plusieurs années, le MASA a joué un rôle éminemment crucial dans le développement du slam et de la poésie-slam aux couleurs ivoiriennes, aussi bien sur le plan national que dans le monde. D’une part, en lui offrant un large plateau d’expressions, il a contribué à la vulgarisation de plusieurs talents, à leur éclosion véritable et à leur professionnalisation, en leur permettant d’agrandir leurs champs. D’autre part, grâce à une meilleure vulgarisation de la culture ivoirienne, le MASA a permis aux artistes qui en vivent d’étendre leurs publics, et d’explorer plusieurs autres opportunités. Le MASA 2024 fait également la part belle au slamet à la poésie-slam. Pas moins d’une dizaine de créneaux lui sont dédiés, pour pas moins d’une dizaine d’artistes provenant de divers horizons, et dont certains ont participé à des lectures scéniques destinées au jeune public.

 

 

Téléchargez le journal du MASA –  édition du 19 avril 2024

Avec les photos des stagiaires de la formation animée par le photographe Dorris Haron Kasco organisée par le MASA.

Commentaire (1)

  1. Répondre
    Thoyer Annik says:

    Super Masa !

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